Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses facultés morales, il n’en a pas moins subi, comme nous, le ravage des années quant au physique. Qui pourrait croire, en voyant ce petit vieillard, qu’il possédait autrefois des bras redoutables ?

C’était, je crois, vers l’année mil-huit-cent-treize, que le docteur Laterrière, sortant le matin d’un navire qu’il avait visité professionnellement, fit la rencontre d’un matelot qui lui demanda ce qu’il venait faire sur le quai où ils étaient alors tous deux. Le jeune docteur, voyant que cet homme avait bu, le pria poliment de le laisser passer. Mais le marin n’en tint aucun compte, continua à lui barrer le chemin et se mit en devoir de le frapper. Le médecin poussé à bout lui asséna un si furieux coup de poing, qu’il lui cassa les os de la mâchoire inférieure en trois morceaux.

Le jeune esculape répara le dommage de son mieux : il fit transporter le matelot dans un hôpital qu’il avait établi à la basse-ville pour les marins, et replaça proprement les os de la dite mâchoire à la place que la nature leur avait assignée. Bref ; le docteur avait si bien opéré, qu’au bout de six semaines ou deux mois le patient sortit de l’hôpital le menton soutenu, par précaution, à l’aide d’un mouchoir noué au-dessus de la tête.

Mais, ô ingratitude du cœur humain ! le premier usage que fit le matelot de sa convalescence fut de porter plainte contre son bienfaiteur, et le jeune médecin, après avoir fourni le cautionnement d’usage, comparut aux assises trimestrielles de la paix, pour répondre à une accusation très grave d’assaut et batterie. J’étais chargé de le défendre, et je m’étais