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lui aidait, car il était rare qu’il voulût forcer devant le monde. C’était, d’ailleurs, un excellent homme, doux, paisible, et entendant bien le badinage, mais si on le charadait un peu fort, et s’il disait : c’est assez ! les farceurs, quelque nombreux qu’ils fussent, se le tenaient pour dit et changeaient de conversation. Grenon était un petit homme ; mon père m’a souvent dit qu’il l’avait vu, un jour, nu, et qu’il en eut horreur ! il était velu comme un ours ; et des nerfs, aussi prononcés que ceux d’un taureau, lui sillonnaient toutes les parties du corps.

Un jour qu’il avait fauché des joncs sur les grèves de la baie Saint-Paul avec plusieurs habitants, son cheval, surchargé de fourrage vert, ne put monter les formidables côtes qu’il avait à franchir. Grenon détèle son cheval, allume sa pipe, s’assied près du chemin et se met à fumer tranquillement.

— Que vas-tu faire ? lui dit un de ses amis.

— Je vais laisser reposer ma bête, fit Grenon, et je ne suis pas en peine qu’elle montera bien sa charge ensuite.

Sur ce, les autres partirent ; mais quand il fit nuit, un des habitants revint sur les lieux et se cacha près d’une clôture pour voir comment Grenon et son cheval se tireraient d’affaire. Mais les cheveux lui vinrent à pic sur la tête, quand il vit Grenon monter les épouvantables côtes de la baie Saint-Paul au pas ordinaire en traînant seul sa charrette, tandis que son cheval suivait la charge en se régalant de quelques gueulées de foin qu’il arrachait de la voiture. Le curieux voulut alors fuir, croyant que c’était le diable