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batture vers l’âge de onze à douze ans ; et voici ce qu’il raconta :

J’étais seul dans ma cabane, vers neuf heures du soir, lorsque j’entendis appeler trois fois d’une voix lamentable : Carrier ! Carrier ! Carrier ! D’un bond je fus sur la grève, car la marée étant basse, je crus qu’un canot avait renversé sur quelques gros cailloux et que l’on demandait du secours. Quoique la lune ne fût pas levée, il m’était facile néanmoins de distinguer les objets à une certaine distance, mais toutes mes recherches furent infructueuses. Je prenais le chemin de ma cabane, lorsque la même voix que j’avais entendue au sud me cria du côté du sud-ouest : à moi ! à moi ! Carrier ! Je pris ma course de ce côté en suivant la butte de sable, mais, arrivé à l’endroit où j’avais entendu appeler, je n’entendis plus rien. J’allais rebrousser chemin lorsque la même voix se fit entendre plus loin dans la même direction. Il me passa une souleur, mais comme la marée montait, je crus qu’un malheureux accroché à un canot chaviré était emporté par le courant vers le chenal qui nous sépare de la butte à Chatigny. Je reprends ma course, j’entends la même voix de l’autre côté du bocage, je passe le chenal, et pour couper court, je m’enfonce dans le bois et je vois l’ombre d’un homme au pied de la plus haute épinette. Les cheveux me vinrent à pic sur la tête, quand, après avoir fait le tour de l’arbre, je ne vis personne, et lorsque j’entendis une voix lamentable sortant du tronc de l’épinette même et criant : à moi ! j’ai faim ! je meurs de faim ! Je voulus fuir, mais j’avais beau marcher, je revenais toujours à la même place où j’enten-