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corps sanglant d’un époux chéri, les cris perçants du criminel que l’on torture et les gémissements du captif dont on rive les chaînes. J’écoutais avec un profond sentiment de compassion ces cris lamentables, lorsque des voix plus puissantes, celles des bêtes féroces, couvrirent les voix humaines ; c’était le rugissement des tigres et des lions, le mugissement du taureau en fureur et les hurlements sinistres des loups. Et mon chien, qui s’était réfugié entre mes jambes, levait la tête de temps à autre en poussant des cris plaintifs ; le système nerveux de mon fidèle compagnon, plus sensible en apparence que le mien, était ébranlé par ce bruit infernal.

Et moi livré à de lugubres pensées, je comparais les tempêtes du cœur humain à celles des éléments dans leur plus grande fureur.

Que la main puissante d’un génie, m’écriai-je, transporte cet îlot bien loin, bien loin sur une mer inconnue ? Qu’elle l’entoure d’écueils et de tempêtes qui le rende inaccessible à tous les oppresseurs de l’humanité souffrante ! Que ce génie compatissant l’offre pour refuge à tous les cœurs brisés par la souffrance ! Qu’il donne à cet asile la faculté de s’étendre au fur et à mesure qu’il se peuplera, et il atteindra bien vite les proportions d’un immense continent !

J’en étais là de mes rêveries philanthropiques lorsqu’un coup de fusil tiré à peu de distance me fit sortir de ma retraite.

— Êtes-vous décidé à coucher avec les corneilles ? me cria François Leclerc de l’autre côté du chenal ; il