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quelques gibiers chercheraient un abri pour passer la nuit dans le chenal. J’étais là dans l’attente n’ayant pour compagnons que mon chien et un corbeau perché sur la plus haute branche d’un sapin qui couronnait la butte Chatigny. Je ne sais trop si mon voisinage lui déplaisait, mais il poussait de temps à autre son cra ! cra ! tout en se laissant balancer par la brise qui fraîchissait. Je commençai à éprouver une certaine faim, étant à mon poste depuis cinq heures, mais, comme il ne tenait rien dans son bec, pas même un fromage, je n’eus pas l’idée de le complimenter sur sa voix mélodieuse, comme fit le renard du bon LaFontaine.

Après avoir attendu longtemps sans succès, je pris le parti de retourner à la cabane ; mais je dus y renoncer : il m’eût fallu me jeter à la nage ; j’étais déjà transi de froid et l’eau glacée du mois d’octobre ne m’offrait rien d’attrayant. Je me réfugiai dans le petit bocage ; et, là, assis au pied d’une épinette, je me livrai aux tristes réflexions auxquelles j’étais souvent en proie, tandis que mon chien parcourait en quêtant tous les coins et recoins du bocage. Je passais souvent à cette époque de la gaieté la plus folle avec mes amis, aux réflexions les plus amères quand j’étais seul et livré à mes souvenirs.

La tempête éclata bien vite dans toute sa fureur avec accompagnement de voix lugubres, que je n’avais jamais ouïes même pendant les plus terribles ouragans ; et à ma tristesse succéda tout à coup une exaltation nerveuse qui me faisait entendre le vagissement de l’enfant nouveau-né, la plainte du malade sur un lit de souffrances, les lamentations de la veuve à l’aspect du