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silence du sépulcre : celle même, la belle d’entre les belles, celle qui a partagé mes joies et mes douleurs, celle qui, ce jour même, accepta la première fois pour la conduire à la danse une main qui, deux ans plus tard, devait la conduire à l’autel de l’hyménée, celle-là aussi a suivi depuis longtemps le torrent inexorable de la mort qui entraîne tout sur son passage.[1]

Ces souvenirs rappellent à ma mémoire ce beau passage d’Ossian :

« But why art thou sad, son of Fingal ? why grows the cloud of thy soul ? the sons of future years shall pass away : another race shall arise. The people are like the waves of the ocean ; like the leaves of woody morven : they pass away in the rustling blast, and other leaves lift their green heads on high. »

En effet, pourquoi ces nuages sombres attristent-ils mon âme ? les enfants de la génération future passeront bien vite, et une nouvelle surgira. Les hommes sont comme les vagues de l’océan, comme les feuilles innombrables des bosquets de mon domaine ; les tempêtes des vents d’automne dépouillent mes bocages, mais d’autres feuilles aussi vertes couronneront leurs sommets. Pourquoi m’attrister ? quatre-vingt-six enfants, petits-enfants, et arrière-petits-enfants porteront le deuil du vieux chêne que le souffle de Dieu aura renversé. Et si je trouve grâce au tribunal de mon sou-

  1. L’auterur épousa en 1811, Susanne, fille de Thomas Allison, capitaine au 5e régiment de l’infanterie britannique, et de Thérèse Baby. De là une double parenté avec la famille Baby. Trois officiers du même régiment, les capitaines Allison, Ross Lewin et Bellingham, depuis Lord Bellingham, épousèrent au Détroit, alors appartenant au Haut-Canada, les trois sœurs, filles de l’honorable Jacques Dupéron Baby, lequel est aussi le bisaïeul de mon ami M. l’abbé Casgrain.