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en famille. Je dis en famille, car, à part un aide-de-camp qui fait les honneurs aux principaux personnages, et à part les servants, rien ne vient troubler les petits groupes d’amis intimes qui prennent ensemble ce premier repas, composé de viandes froides, beurre, raves, thé et café. Ceux qui l’ont terminé cèdent la place à d’autres et se promènent dans les jardins et les bosquets environnants. À dix heures, toutes les tables sont enlevées et les convives sont dans l’attente de ce qui va suivre. En effet le cottage, comme le château dans l’opéra de Zémire et Azor, semble attendre que la baguette d’une fée lui donne vie. Après quelques minutes d’attente, la porte principale s’ouvre et livre passage au petit roi Craig, suivi de son brillant état-major ; au même instant un orchestre invisible, perché au sommet de hauts peupliers, joue le God save the King ; les têtes se découvrent et chacun écoute en silence l’air national de la Grande-Bretagne.

Les convives les plus distingués s’empressent d’aller présenter leurs hommages au gouverneur ; ceux et celles d’entre eux qui ne doivent point prendre part à la danse s’asseyent sur la galerie où trône son excellence. Un aide-de-camp crie gentlemen take your partners  ! (messieurs, prenez vos danseuses), » et le bal commence.

Soixante-ans se sont écoulés depuis ce jour où, danseur infatigable, je descendais comme un tourbillon une contredanse de trente couples. Mes pas qui se traînent aujourd’hui pesamment laissaient alors à peine la trace de leur passage. Toute la jeunesse qui animait cette fête des anciens temps dort aujourd’hui dans le