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si malpropre et si sale, de me lancer quelques sarcasmes à propos de ma toilette ; mais j’étais peu disposé ce jour-là à endurer patiemment ses quolibets : mon père, dont la mise était toujours simple, mais néanmoins décente, détestait les petits-maîtres, et il venait justement de me comparer, en me voyant sortir de la maison dans toute ma gloire, à Jupiter descendant de l’Olympe.

Je n’étais donc pas d’humeur à endurer les quolibets de C***, le plus insolent des jeunes gens de Québec, et je lui rendis son change avec usure sur sa malpropreté. Il n’était pas endurant et il me frappa au visage. J’avais seize ans et il en avait au moins dix-neuf ; aussi, profitant de sa haute taille, il prenait, en me frappant, pour point de mire ma malheureuse tête qui lui portait tant d’ombrage. Il faisait une chaleur étouffante du mois de juillet, et je fus couvert, dans l’instant, de poudre et de pommade depuis la tête jusqu’aux pieds. Je ressemblais assez à un rat sortant d’un baril d’huile qu’on aurait roulé dans un farinier.

Cette scène avait lieu dans une rue passante de la basse-ville, en sorte qu’il se fit aussitôt un cercle à l’entour de nous ; chacun encourageant l’un ou l’autre des lutteurs suivant ses sympathies. Le courage moral seul m’empêchait de succomber dans un combat contre un athlète plus grand et plus âgé que moi, outre que j’avais à me défendre contre la poudre et la pommade qui m’aveuglaient à chaque coup de poing que je recevais et que je rendais ; le courage moral seul, dis-je, m’empêchait de succomber, lorsque arrivèrent sur les entrefaites cinq à six matelots de frégate qui se rangèrent de mon côté, soit parce que j’étais le plus petit des deux com-