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deux tiers des jugements des juges en chef de Montréal, et vice versa ; et il ne s’agissait pourtant que d’intérêts minimes comparés à la protection due à la vie des citoyens ! Mais comment oser toucher à notre admirable système de jurés ! Lorsque j’ai l’occasion de me plaindre de cet état de choses déplorable en présence des personnes instruites, elles ne peuvent nier des faits qui se passent sous leurs yeux ; ce qui ne les empêche pas de s’extasier sur ce glorieux système qui nous régit. Mais le sens commun est-il encore plus rare que je le croyais ? L’égoïsme des hommes ne serait donc pas une lubie des misanthropes !

On s’étonnait, il y a à peine vingt ans, à la lecture des crimes qui se commettaient à la Nouvelle-Orléans ; on avait peine à croire qu’il fût dangereux pour un citoyen paisible de sortir, même pendant le jour, sans être armé d’un poignard. Aujourd’hui on ne s’étonne plus de rien ; le couteau fait de nombreuses victimes, mais l’assassin n’a-t-il pas la ressource des jurés pour se faire absoudre ! Avant dix ans, peut-être, les citoyens des grandes villes du Canada porteront un poignard suspendu à leur cou en guise de chaîne de montre et un revolver enveloppé dans leur mouchoir de poche.[1]

Les hommes sont des êtres curieux à observer. Pourquoi les naturalistes, au lieu d’étudier les mœurs

  1. Ce qui précède était écrit avant que l’honorable Juge Charles Mondelet eût présidé la cour criminelle, terminée à Québec, le 24e jour du mois de Février 1865 ; et, certes, l’honorable juge doit être fier des éloges que les journaux de Québec lui ont donnés, car il les méritait. Il a su par ses talents et avec un tact admirable, si bien manier l’esprit des jurés que leurs décisions ont rendu un peu de sécurité aux paisibles citoyens de cette ville en proie aux attaques de la canaille qui infestait les environs de nos faubourgs.