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Je puis certifier que onze jurés sur les douze qui rendirent cet arrêt étaient des hommes honnêtes et respectables, mais on sut que le douzième, ayant réussi, je ne sais par quelle manœuvre, à tromper le shérif, était parvenu à se faire inscrire sur la liste des jurés que ce fonctionnaire fournit à la cour ; et que cet homme arrivé à la salle des délibérations s’était couché sur un banc, en disant à ses confrères qu’il ne prendrait aucune part à leurs délibérations, car il était bien décidé à faire acquitter le prisonnier. On a même prétendu qu’il s’était muni de provisions suffisantes pour affamer les autres, tandis que lui-même ne souffrait aucun inconvénient.

Je sais que la génération actuelle ne trouvera rien d’extraordinaire dans ce que je viens de raconter ; il ne se passe guère de cours criminelles que le public ne soit témoin de semblables dénis de justice auxquels applaudissent les amis et les partisans des malfaiteurs. Il en fut autrement lors du meurtre que je viens de citer ; la majorité du public proclamait hautement que les onze jurés auraient dû se laisser mourir de faim plutôt que de faire un rapport contre leur conscience.

Le dégoût m’a empêché d’assister à nos cours criminelles depuis quatre à cinq ans ; j’étais indigné lorsque je remarquais des signes d’intelligence échangés entre les jurés et les criminels, et que je voyais des coupables échapper à la justice par cause de sympathie de race et de religion. Ces scènes honteuses auraient-elles lieu sans l’infâme système des jurés ! On a bien remédié à l’abus criant de nos cours d’appel d’autrefois, lorsque les juges en chef du district de Québec infirmaient les