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premier mouvement de colère il lui lance le malheureux sac à la tête et la tue raide.

De nos jours cet homme n’aurait été trouvé coupable que de manslaughter, mais on avait alors un tel respect pour la vie humaine, à laquelle on semblait tenir plus que de nos jours, que le malheureux fut trouvé coupable d’homicide au premier chef.

C’était sous l’administration de sir James Craig, et quelques personnes s’imaginèrent qu’il lui répugnerait de laisser mourir sur la potence un homme qui portait le même nom que lui. Mais le gouverneur fit pour son homonyme ce qu’il aurait fait pour tout autre criminel en pareil cas ; il soumit la requête du condamné et le dossier du procès à tous les juges de la province, et sur leur rapport défavorable refusa le pardon.

Quelques avocats censuraient la conduite du juge en chef Sewell dans certains cas criminels, mais plus j’y réfléchis, plus je l’approuve, car il me semble qu’il est encore plus du devoir du juge de prévenir le crime, de l’empêcher de se propager, que de punir les coupables.

La femme d’un ouvrier respectable est accusée par sa voisine de lui avoir volé une paire de souliers. Je la vois encore cette pauvre jeune femme exposée sur le banc des criminels, je la vois pâlir et rougir tour à tour sous les regards des spectateurs. La preuve contre elle fut accablante. Le juge en chef, avant de lire les notes du témoignage, s’efforça, dans un discours très éloquent, de prévenir les jurés contre le danger pour la morale publique de permettre au crime de sortir de la classe qui en est coutumière, pour envahir une autre classe de la société qui en est exempte.