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de se pervertir, tandis que le pauvre peuple est obligé de végéter toute sa vie dans l’innocence.

J’ai déjà dit que, lorsque je fis mon entrée dans le monde, je n’étais ni plus sot ni plus fin que les autres jeunes gens, ce qui ne m’empêche pas d’avouer que je montrais une grande infériorité dans l’étude du code criminel anglais. Tandis que mes amis élevaient jusqu’aux cieux notre système de jurés, je le considérais comme absurde ; et j’avouerai, à ma honte, que je n’ai pas modifié mon opinion à cet égard à l’âge de soixante-dix-neuf ans ; tant s’en faut.

— C’est que vous ne comprenez pas ce magnifique système ! disaient mes amis ; et je répondais : j’avoue, en toute humilité, que je n’y vois goutte.

Ils secouaient la tête d’un air de compassion ; ce qui voulait dire : il a l’entendement obtus, le sieur de Gaspé. J’étais piqué.

— Je sais comme vous, mes braves, leur disais-je un jour, que l’on enferme douze jurés dans une boîte, qu’on leur fait prêter serment de faire un rapport suivant les témoignages qu’ils vont entendre, que ce rapport n’est reçu que si les douze jurés sont unanimes, que dans le cas contraire le juge en chef, homme toujours versé dans la science de l’arithmétique, sachant que si de douze on paye un, il ne reste que onze ; que le juge, dis-je, ordonne au greffier de faire sortir un des jurés de la boîte ; que celui-ci sort tout humilié et aussi confus que s’il eût fait un mauvais coup ; je sais que le juge en chef, après cette expulsion, ordonne au dit greffier de compter les dits jurés. Je sais que ce fonctionnaire obéit, se retourne ensuite du côté de la