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MM. Green et Cartwright, mes compagnons d’étude, pourquoi il se trouvait là ?

— C’est un ouvrage si détestable, me dit Green, que le patron l’a jeté, en notre présence, parmi ces papiers, pour nous montrer le mépris, le dégoût qu’il lui témoigne.

J’ouvre le livre : horresco referens ! je pensai tomber à la renverse ! je tenais en main les « Ruines de Volney. » Or le citoyen Volney et ses Ruines n’étaient guère en odeur de sainteté au séminaire de Québec d’où je sortais : notre professeur de métaphysique, entre autres préceptes, nous avait inspiré une sainte horreur, d’abord du diable, (à tout seigneur tout honneur,) et ensuite de Messieurs Voltaire, J. J. Rousseau, d’Alembert, Diderot, et surtout du citoyen Volney. Mais vu que les jeunes gens d’autrefois comme ceux de la génération actuelle (soit dit sans les calomnier), ne recevaient trop souvent qu’avec méfiance les avis salutaires de leurs parents et des autres gardiens de leur moral, et peut-être aussi quelque diable me poussant, je ne pus résister à la tentation de lire au moins quelques pages de ce livre proscrit.

J’ouvre donc le volume. Je vois d’abord une gravure de Palmyre ; et sur un tombeau de cette reine du désert, un Européen assis contemplait, pendant le silence de la nuit, cette scène de désolation : tandis qu’un hibou perché sur le sommet d’un temple, et quelques chacals, la gueule ouverte, semblaient faire entendre leurs cris lugubres et discordants.

Cette scène du désert, dont je saisis toute la portée, m’impressionna vivement : j’étais alors d’un enthousi-