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de leur mess, on ne lui parle que pour échanger les mots d’ordre qu’exige le service militaire, ses plus proches parents même ne peuvent lui parler sans s’exposer à être enveloppés dans sa disgrâce. J’ai connu un lieutenant qui attirait toute notre sympathie ; il soutenait sa vieille mère et ses sœurs, n’ayant d’autres ressources que sa paie : il résista pendant dix-huit mois, mais, sa santé s’altérant de jour en jour, il lui fallut vendre à la fin sa commission.

Il ne sortait que sur la brune pour se promener, toujours en dehors des murs de la cité, et ne rentrait que bien tard pendant la nuit. La mort, image de celle qu’il avait dans le cœur, était peinte sur sa figure. J’ignore quelle offense lui avait valu ce châtiment.

Je commençai à étudier le droit chez feu le juge en chef Sewell, alors Procureur-Général. Il me mit entre les mains la Coutume de Paris pour me donner un avant-goût des délices de ma nouvelle profession. Je sortais tout fier de mon bureau, mon livre à dormir debout sous mon bras, lorsque je rencontrai un de mes jeunes amis du séminaire, qui de son côté étudiait chez M. Borgia, avocat célèbre à cette époque. Je lui fis part du bonheur que j’avais de posséder un tel trésor et des recommandations que l’on m’avait faites de me livrer ardemment à l’étude d’une profession qui semblait d’abord aride, mais qui finirait par me procurer des jouissances inestimables.

— Quant à moi, me dit mon ami, je n’ai pas encore ouvert un livre de loi par suite d’un entretien que j’ai eu avec mon patron. Je n’ai pas manqué de lui demander quel ouvrage il me recommandait de lire, or