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Me trouvant quelques années après dans la paroisse dans laquelle il résidait, et m’étant assuré qu’il était radicalement guéri de ses velléités démocratiques, je me fis introduire à lui ; et sans préface aucune, je lui fis part du jugement que j’avais porté sur lui précédemment. Il éclata de rire et me dit : Monsieur, avec un peu d’honnêteté et avec le gros sens commun on revient bien vite de ces folies.[1]

Que ceux qui, comme moi, aiment sincèrement leur pays, ce cher Canada où nous sommes nés et où nous espérons mourir, gémissent de voir que de semblables hommes ne soient pas au timon des affaires. Il y a pourtant des hommes semblables au milieu de nous : tout le monde leur accorde des talents supérieurs, une probité à toute épreuve, une piété sincère et édifiante : et on croirait vraiment que ces vertus sont d’un mince aloi quand il s’agit de gouverner un peuple : aussi a-t-on bien soin de les écarter des hauts postes où ils pourraient promouvoir nos plus chers intérêts.

Mais je m’écarte de mon sujet. Lorsque je fis mon entrée dans le monde, je n’étais ni plus sot ni plus fin que les autres. Cependant une certaine méfiance naturelle de moi-même, que j’ai encore aujourd’hui, m’empêchait de m’exposer à un de leurs ridicules : quelque bonne opinion que j’eusse de moi-même, je n’osais me poser en grand sire ; ce n’était pas excès de modestie, mais timidité. Je partageais en revanche tous leurs autres ridicules et leurs folles idées.

  1. Mon respectable ami M. C. T. en lisant ces mémoires se rappellera notre conversation à ce sujet à Rimouski.