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Un jeune homme qui fait son entrée dans le monde après avoir terminé son cours d’étude dans nos collèges se croit ordinairement un grand sire, et n’est presque toujours, sauf respect, qu’un orgueilleux pédant. Ceux qui en sont encore à cet âge heureux où l’on ne doute de rien, vont se récrier, m’injurier peut-être ; je ne leur demande, par égard pour mes cheveux blancs, que de suspendre leur ire pendant quelques années, et s’ils ne me donnent pas alors raison, la leur n’aura pas fait de grands progrès et mes mânes n’en seront pas affligées : l’opinion des gens sensés en aura fait justice.

J’assistais un jour à une grande fête nationale, c’était celle de la Saint-Jean-Baptiste, lorsque je vis dans les rangs de la procession un jeune monsieur portant le costume des cultivateurs canadiens : souliers de cuir tanné, boutons taillés dans un morceau de baudrier, etc., il n’y manquait rien. Je m’enquis de son nom, et l’on me dit que ce gentleman était démocrate quand même ; qu’il s’accoutrait de la sorte pour ne point encourager les manufactures étrangères et pour preuve ambulante de son patriotisme. Je fus d’autant plus surpris, que je le savais issu d’une famille distinguée par son esprit. Un discours qu’il prononça le soir même me frappa non seulement par le style, par les pensées profondes, les sentiments élevés, mais encore plus par l’honnête et profonde conviction qui le caractérisait. Bah ! dis-je à part moi : « vous ne serez pas, mon cher, longtemps démocrate quand même ; je ne vous donne guère plus de cinq ans pour changer de conviction. »