Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
MÉMOIRES.

heureuse fièvre, ce qui après tout me chagrinait peu ; mais dans nos petites querelles avec une de mes jeunes cousines, elle manquait rarement de dire, d’un grand sérieux, tout enfant qu’elle était :

— Savez-vous que, sans sa malencontreuse fièvre putride mon cousin aurait eu de l’esprit ?

Ceux qui ont connu madame William Selby, née Marguerite Baby, morte à New-York, il y a quatre ans, savent qu’elle était certainement une des femmes les plus spirituelles du Canada. Quoique souffrant depuis longtemps de la cruelle maladie qui l’a conduite à une mort prématurée, sa gaieté naturelle était toujours la même. La dernière fois que je l’ai vue, nous causions ensemble des hommes et des choses, lorsqu’elle me dit avec ce sourire si fin qui lui était habituel.

Sais-tu, Philippe, que de notre temps, nous avions bien autant d’esprit que les personnes de la génération actuelle, qui s’en piquent pourtant ?

— Tu as bien raison quant à toi, ma chère, lui répliquai-je, mais pour ce qui me regarde personnellement, tu as sans doute oublié ma malheureuse fièvre putride ? Sans cela, c’est une flatterie de ta part, ou peut-être une réparation un peu tardive que tu crois devoir me faire ?

— Comment, dit-elle, tu penses encore à cette bienheureuse fièvre putride qui m’amusait tant, tout en faisant ton désespoir dans nos petits démêlés ?

— Tu en parles à ton aise ; c’était pourtant très agréable pour moi de passer pour un sot quand tel était ton bon plaisir.

Et nous rîmes ensemble pour la dernière fois de ce bon rire de notre jeunesse. Quelques mois après cette