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queue qui lui descendait plus bas que les épaules, quoique la mode en fut passée dans les villes, tout me fit croire qu’il était un de ces notables que certains comtés de la campagne envoyaient alors pour les représenter dans l’assemblée provinciale. Il parla pendant l’espace d’une demi-heure, et sa parole coula toujours aussi facile, aussi abondante, que les eaux paisibles d’un grand fleuve, tandis que lui-même était aussi immobile que les deux rives qui l’encaissent. J’étais sous l’effet d’un charme inexprimable ; je craignais à chaque instant qu’il ne cessât de parler : et chose surprenante, je ne comprenais qu’à demi son discours. Le plus grand silence régnait dans la chambre : quant à moi je n’osais respirer. Tout turbulent que j’étais à cet âge, il me semblait que je ne me serais jamais lassé de l’entendre.

Je ne me rendis vraiment compte de ce que j’éprouvai alors, que six à sept ans après, lorsque je lus le troisième livre de la traduction de l’Iliade par Pope.

Le vieux Roi Priam est sur les murs de Troie, Hélène à ses côtés lui fait l’énumération des chefs les plus célèbres de l’armée grecque, dont les innombrables bataillons couvrent la plaine ; elle nomme Ulysse. Anténor prenant alors la parole dit :

« J’ai, moi-même, Ô Roi ! connu cet homme étonnant, lorsque, sous l’égide de nos lois hospitalières, il vint à Troie plaider la cause de la Grèce. »

Je ne puis résister au plaisir de citer les magnifiques vers du poëte anglais, sauf à en donner ensuite une traduction bien pâle. Antenor, après avoir donné à l’éloquence de Ménélas des éloges mérités, continue :