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en lâchant les deux timons, de me faire casser les reins par le sommier de la calèche ; ou enfin en me précipitant à terre au risque de me faire broyer par une des roues de la voiture. L’instinct de la conservation vint heureusement comme l’éclair à mon secours, car toute la scène que je viens de décrire occupa à peine une demi-minute. Par un effort puissant qui fit lâcher prise à ceux qui, à mes côtés, m’aidaient à tirer la voiture, je me précipitai à terre sans lâcher les timons, la seule chance de salut qui me restât. Ce brusque mouvement fit perdre l’équilibre à deux ou trois des occupants de la voiture, dont deux même me tombèrent sur les reins ; mais ce surcroît de charge ne m’empêcha pas de labourer, avec mon pauvre corps, l’espace de dix-sept pieds de terre dure, parsemée de gravois, pierres et cailloux, ainsi que l’attestait encore l’inspection des lieux huit jours après l’accident, et que les mauvais plaisants appelèrent le sillon de Gaspé. Veste, chemise, pantalons, furent déchirés en lambeaux, auxquels adhérait une partie notable de ma chair depuis le menton jusques en bas, et y compris mes deux genoux. Je me trouvai écorché comme une anguille qu’une cuisinière se prépare à mettre sur le gril. Une robe de chambre, que l’on me prêta, me permis d’achever cette fine partie dans l’hôtel d’O’Hara, situé sur le lieu même, et où nous soupâmes.[1]

Bien penaud se réveilla le lendemain au matin le sieur Philippe-Aubert de Gaspé : il lui sembla qu’un

  1. L’hôtel d’O’hara, remplacé par les bureaux du gouvernement, à l’encoignure de la rue de Fort et de la rue Sainte-Anne. La galerie qu’on y voit n’existait pas alors.