Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/216

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il était nuit close lorsque nous retournâmes à Québec, les uns à pied, les autres en voiture. Arrivés à la porte Saint-Louis, un cheval rétif refusa de passer outre et il fallut le dételer. Il me passa une idée lumineuse par la tête : celle de faire une entrée triomphale dans la cité, en traînant nous-mêmes la calèche dans laquelle prendraient place les meilleurs joueurs de cricket. Le dedans de la voiture fut encombré dans l’instant, et trois même se tinrent debout comme des laquais derrière la calèche.[1] À moi, comme de droit, appartenait l’honneur de servir de cheval de trait, tandis que d’autres me seconderaient en tirant les timons en dehors, et que trois pousseraient la voiture par derrière. Nous parcourûmes la rue Saint-Louis comme une avalanche, en poussant des hurrah : ce qui attira tout le monde aux fenêtres ; mais la nuit était si sombre qu’il était impossible de nous reconnaître.

Tout allait bien jusque-là ; le terrain était planche et je ne courais aucun danger. Il n’en fut pas de même lorsque nous débouchâmes sur la place d’Armes, notre boulevard actuel. J’avais beau crier : arrêtez ! arrêtez ! mes amis n’en poussaient et n’en tiraient que plus fort et nous descendions cette côte comme la foudre ! Je calculais, à part moi, mes chances de salut. J’avais en effet trois genres de mort en perspective : me briser la tête sur les maisons que nous avions en face, ce qui aurait pourtant décidé une question bien importante, celle de s’assurer si ma tête contenait une cervelle ; ou

  1. Une calèche canadienne est une voiture à deux roues seulement.