Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/213

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avons accepté le défi, et demain, à six heures du matin, est le grand jour de la lutte. La lice sera ouverte à tout venant ; l’enjeu sera d’une piastre par tête : le vainqueur s’obligeant de donner un déjeuner à tous les concurrents à l’hôtel d’O’Hara. Je compte sur toi, le meilleur coureur du séminaire, j’excepte seulement le grand Vincent, le sauvage : il avait, au moins, six ans plus que toi, et tu étais toujours sur ses talons.

— Mais, lui dis-je, vous avez, ici, Grant, de Montréal, qui court, à ce que l’on dit, comme un chevreuil.

— Il est malheureusement reparti avant-hier : son temps était limité, et nous tenons fort à rabaisser l’orgueil de ce cockney, ajouta Philips.

— Je vous connais parfaitement, messieurs les Canadiens-anglais, repris-je, et je suis persuadé qu’entre deux maux vous choisirez celui qui vous paraîtra le moindre, préférant être vaincus par un badaud de votre race, que par un Canadien d’origine française.

— Tu ne conçois donc pas, fit William en riant, quel sera notre triomphe, lorsque nous lui dirons que nous avons ménagé nos forces, sachant bien qu’un Canadien-français même était suffisant pour le vaincre.

— Pas mal, mais à bon chat bon rat : je lui soutiendrai effrontément que je suis un sauvage pur sang que vous avez soldé pour l’occasion ; vous sachant incapables de lutter contre lui.

— Il ne te croira pas, en voyant ta peau blanche comme celle d’une femme.

— Je lui dirai, alors, que je suis un sauvage de la