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rellement enthousiaste, il m’échappait, quelquefois de louer en sa présence mon héros plus qu’il ne l’aurait voulu. Mes amis de leur côté me reprochaient d’être un peu torie : il est à supposer que je tenais le juste milieu ; et que suivant le proverbe anglais, j’étais disposé à rendre au diable ce qui lui appartient.

C’était en l’année 1805, nous étions à la veille d’Austerlitz ; l’ancien et le nouveau monde étaient dans l’attente d’événements qui pouvaient changer la face de l’Europe. On ne voyait de tous côtés que des gravures de farouches Cosaques, montés sur de petits chevaux et armés de lances à embrocher une dizaine de Français d’un seul coup. Les armées russes et autrichiennes, commandées par les deux empereurs d’Autriche et de Russie, devaient écraser l’audacieux conquérant qui avait osé pénétrer jusque dans la Moravie.

Ma famille passait l’hiver à Québec ; je veillais avec ma mère en attendant mon père qui dînait au château Saint-Louis. Il arrive vers les dix heures du soir, fronce, en entrant dans le salon, ses grands sourcils d’un noir d’ébène, et se promène de long en large sans proférer une parole. Celui qui se sent une mauvaise conscience est toujours sur les épines. Mon père, pensais-je, a-t-il découvert une ou plusieurs de mes fredaines ? Je n’étais pas tout à fait un saint, et mon père, que je craignais comme le feu, était sévère en diable pour mes peccadilles. Alors, pour en finir avec cet état de suspens plus pénible que la réalité, je lui adressai en tremblant la parole ; mais ses yeux s’adoucirent aussitôt en répondant à ma question. J’étais