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dans les forêts du Canada ? — Assister à la mort d’Aubé. — Combien es-tu resté de temps auprès de lui ? — J’ai resté trois jours auprès de sa couche pour m’emparer de son âme quand il mourrait. — Est-il mort ? — Oui. — As-tu emporté son âme ? — Non. — Pourquoi ? — Parce que j’y ai trouvé Marie.

Le curé, continua le père Caron, lut la lettre au prône le dimanche suivant ; tout le monde pleurait dans l’église et la paroisse en masse fit chanter un beau service anniversaire au pauvre Joseph-Marie Aubé ; il l’avait bien gagné. Il est depuis longtemps dans le paradis ; mais quand on parle de ce côté ici du lac, de temps calme, des voix se font entendre sur l’autre rive comme s’il appelait encore les bonnes âmes à son secours, car, voyez-vous, ajouta le père Laurent, il avait un triste voisin. Nous étions tous bien jeunes, imbus des contes de revenants, dont on avait bercé notre enfance, surtout à la campagne, et pendant le récit du père Laurent, il nous passait certains frissons qui nous faisaient nous rapprocher les uns des autres : ce qui ne nous empêcha pas de retourner sur notre îlot et de fatiguer l’écho des montagnes, jusqu’à ce que, accablés de sommeil, nous cherchâmes un abri sous la cabane de notre guide.

De retour aux habitations, j’offris au père Caron de le payer.

Comment, dit-il, notre jeune seigneur, vous n’entendez donc pas la risée : je suis amplement payé par l’agrément que j’ai eu avec vous tous, messieurs. Je ne demande pour récompense que de vous adresser