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lui demander pardon pour moi de tous les chagrins que je lui ai causés.

Je t’ai rapporté, mon père, continua le Huron, tout ce qu’Aubé m’a chargé de te dire. J’ai passé encore deux jours et une nuit auprès de sa couche, et il est mort ce soir au soleil couchant. Il voyait toujours le manitou dans le fond de la cabane, à ce qu’il me disait, et il élevait de temps en temps sa médaille pour l’empêcher de l’approcher. Il a perdu connaissance vers midi et est mort les bras croisés sur la poitrine en tenant dans ses mains l’image de la Sainte Vierge. J’ai tout dit, fit le Huron, c’est à toi, mon père, à faire le reste.

— Pourquoi, dit le curé, n’es-tu pas venu me chercher ? Je lui aurais administré les sacrements de notre sainte religion, je l’aurais fortifié dans la lutte terrible que lui, pauvre pécheur repentant, avait à soutenir contre l’enfer acharné à sa perte ; je l’aurais appuyé sur mon sein, et le crucifix élevé, j’aurais défié les esprits infernaux, et je les aurais conjurés ! Tu es un mauvais sauvage.

Le Huron, ployant le dos à ce reproche, fut quelque temps sans répondre, et dit : T’es bien vieux, mon père, pour faire six lieues dans les forêts, d’aller et revenir dans cette saison par une pluie froide qui tombe depuis hier. Tu en serais mort, mon père.

— Que t’importe ! dit le vieux curé : comme pasteur de cette paroisse, je réponds devant Dieu de toutes mes brebis ; je me serais présenté à son tribunal avec l’âme d’un grand pécheur repentant, et j’aurais accompli le devoir le plus sacré de mon minis-