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inutile de lui en parler et je me mis à souper. Il me dit de faire un somme et qu’il me parlerait ensuite. Je commençais à m’endormir, quand je fus réveillé par un cri que poussa le malade.

— J’ai eu bien peur, me dit-il ; l’ours était si près de moi que je sentais son haleine de flamme qui me brûlait le visage. Promets-moi de rester ici tant que je serai vivant, et après ma mort d’aller trouver de ma part le curé de l’Islet, mon pasteur. Je lui en fis la promesse.

— Mon nom est Joseph-Marie Aubé, continua-t-il.

— Joseph-Marie Aubé est mort ! s’écria le curé ; que Dieu ait pitié de son âme ! Ah ! mon Dieu ! Mon Dieu ! Quelle affreuse nouvelle ! mais continue mon fils.

— Je vais te dire ses paroles, fit l’Indien : c’est lui qui parle, écoute, mon père : « J’ai toujours été un mauvais sujet depuis mon enfance, j’ai bu et mangé le bien de ma famille, mon père est mort de chagrin depuis longtemps, et au lieu de secourir ma pauvre mère qui est dans la misère, je mène la vie d’un vagabond. Il y a longtemps que je ne fréquente plus les églises ; et je me moquais sans cesse des bons chrétiens. Ma bonne mère versait des seaux de larmes sur ma mauvaise conduite, et j’avais l’âme assez noire pour rire d’elle. Elle me reprochait en pleurant de l’abandonner, elle vieille et infirme, sur le bord de la tombe, et je lui disais des injures. Mais l’amour maternel ne se rebute ni par l’ingratitude, ni par les mauvais traitements. Elle ne répondait à mes