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dîmes à ces avances hospitalières par deux coups de fusil qui semblèrent les couvrir d’une grêle de plomb, mais qui ne frappa que l’eau sur laquelle ils se balançaient ; nous les croyions pour le moins blessés à mort, quand, à notre grande surprise, ils reparurent à cinq ou six arpents plus loin, en nous narguant de leurs cris aigres et aigus. Il était en effet assez rare à cette époque de tuer un oiseau plongeur avec les fusils à pierre : en voyant la lumière de l’amorce, ils disparaissaient sous l’eau avant d’être atteints par le plomb.

Le lac Trois-Saumons, situé sur le versant sud d’une haute montagne, parcourt dans sa longueur la presque totalité de la seigneurie de Saint-Jean Port-Joli : c’est en effet au milieu de ce lac, à deux lieues et demie du fleuve Saint-Laurent, que passe la ligne seigneuriale. La largeur de cette nappe d’eau varie d’un mille à un demi-mille suivant les accidents de terrain.

Ce qui frappe le plus, d’abord, est le profond et religieux silence qui règne dans cette solitude. Le touriste éprouve le sentiment de bien-être, de sécurité, d’un homme en but aux persécutions de ses concitoyens, qui se trouverait transporté subitement dans un lieu de repos, hors de toute atteinte de la malice des hommes. Je ne fis pas alors cette réflexion ; j’étais à l’âge heureux où tout est rose dans la vie, mais je l’ai faite souvent depuis dans mes fréquentes visites à ces lieux solitaires. Jeunes gens libérés des entraves du collège, de la contrainte que nous inspirait nos parents, nous éprouvâmes le vif sentiment d’indépendance du captif rendu à la liberté après une longue réclusion. Libre à nous de nous livrer à toutes les folies de la