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honneur à l’omelette à la bajoue, aux assiettées de crème douce, saupoudrées de sucre d’érable, dont la table était abondamment pourvue.

Ainsi munis d’un second déjeuner, nous entrâmes bien vite dans la forêt, en marchant à la file derrière notre guide, comme font les sauvages. Me piquant de la meilleure jambe des enfants de mon âge, je pris place près de lui ; mais j’avais compté sans mon hôte : le père Laurent était un grand vieillard, encore vert et jambé comme les orignaux auxquels il avait fait la chasse pendant trente ans. J’avais beau allonger le pas, il me fallait finir par trotter pour le suivre. Arrivés sur le haut de la première des trois montagnes que nous devons franchir, et voyant qu’il se disposait à passer outre, je lui fis observer que plusieurs de nos compagnons étaient en retard.

— Êtes-vous fatigué ? me dit notre guide ; alors reposez-vous. Je me proposais pourtant avant d’attaquer la montagne, de ne faire aucune halte, que sur le second button où nous arrivons bien vite, et qui est beaucoup plus haut que celui-ci.

Je crus que button était le nom de la montagne sur laquelle nous étions ; mais c’était un nom de mépris que lui donnait le père Laurent vu son peu d’élévation, à son estime. J’étais humilié. Je me débarrassai de ma charge, je m’étendis de tout mon long sur l’herbe fraîche, et tous mes amis de m’imiter. Quand le père Laurent, son sac sur le dos, son fusil à long canon d’une main, un chaudron de fer du poids d’au moins quinze livres de l’autre, il entonna d’une voix de tonnerre, et en se tenant aussi droit que l’érable contre