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MÉMOIRES.

LeBlond, c’est un crabe de terre de la haute-ville, que nous serons obligés de déterrer dans la vase ! Comme vous ne doutiez de rien, ajouta Lafleur, et qu’il vous fallait soutenir l’honneur des nageurs de la haute-ville, vous tentâtes l’aventure aussitôt que je vous eus expliqué ce dont il s’agissait. L’élan fut sans reproche : vous enfoncâtes perpendiculairement la tête la première dans l’eau, mais comme je m’inquiétais de votre absence prolongée, je me jetai à l’eau à tribord de la chaloupe pour vous secourir au besoin, lorsque je vous vis reparaître soufflant comme un baleinon et sans autres dommages qu’une écorchure à l’épaule faite par les tollets de la chaloupe. Si c’eût été par malheur la tête au lieu de l’épaule, Lafleur aurait bien pleuré et n’aurait pas l’honneur de vous recevoir aujourd’hui dans la maison maternelle.

— Vous n’avez pas de reproche à vous faire, mon cher Lafleur, lui dis-je, si vous n’avez pas réussi à me faire noyer au moins quatre à cinq fois.

— C’était par amitié pour vous, reprit Lafleur, je voulais vous donner du goût pour le métier de marin. Tenez, suivez mon avis : jetez plumes, encre et papier par la tête de votre patron ; votre père est riche, qu’il vous achète un petit navire, et hurrah ! vogue sur l’océan ! Lafleur sera votre contremaître ; et je veux être avalé par un requin, si, dans trois ans, en vous donnant des leçons dans les temps perdus, vous n’êtes pas un loup de mer.

Je remerciai mon ami Lafleur de ses bons avis, sans, néanmoins, en profiter. Je ne sais s’il fut plus heureux avec d’autres jeunes gens, ou si la fièvre des voyages