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MÉMOIRES.

m’aborda avec le laisser-aller d’un homme de sa profession, mais, néanmoins, avec la plus grande politesse.

Je vous aimais tant pendant mon enfance, me dit-il, que je n’ai pu résister au désir de vous parler, quoique vous soyez un gentilhomme et moi un pauvre matelot.

Il serra avec force, dans sa main goudronnée, celle que je lui offris : il était très affecté.

— Pour vous prouver, Lafleur, lui dis-je, quel plaisir j’éprouve à vous revoir, nous allons entrer chez votre mère où nous pourrons jaser à l’aise.

— Ma chère maman, fit Lafleur, pour se consoler de l’absence de son tout aimable fils, est convolée en secondes noces, et je n’ai qu’à me féliciter du choix qu’elle a fait d’un bon vieillard très riche, le sieur Labadie, qui l’a épousée pour l’amour de ses beaux yeux, car elle est encore belle femme, quoique approchant la quarantaine, tandis qu’elle l’a épousé pour l’amour de ses écus dont je commence à connaître la couleur. Je vous assure que c’est un honnête beau-père, et toujours prêt à venir à mon secours quand ma mère le pousse. Si cette chère maman n’a pu réussir à dompter son vaurien de fils, elle mène souplement son vieux mari, comme vous allez voir.

J’eus quelques paroles, il y a trois jours, avec un matelot portugais ou espagnol ; et comme je n’aime pas les querelles inutiles, je lui donnai un soufflet, espérant qu’il riposterait par un coup de poing comme aurait fait un matelot anglais. Car voyez-vous, Monsieur, il y a plaisir à avoir affaire à un Jack-tar britannique. On se met tout de suite en position, et