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MÉMOIRES.

cère, mais il me reste encore une ressource : aussitôt que nous approcherons de terre, jette-toi à l’eau à bâbord de la chaloupe, tandis que je plongerai à tribord ; en faisant cette manœuvre il ne pourra en saisir qu’un seul, et l’autre aura le temps de gagner terre et de se moquer ensuite du Jack-tar (matelot).

Je trouvai l’expédient merveilleux, et quelques minutes après, nous sautions dans l’eau comme des grenouilles effarouchées. Comme j’étais à bâbord, le courant m’emporta bien vite à une telle distance et si près de terre que je crus pouvoir, sans danger, me retourner du côté de la chaloupe ; quand, à ma grande surprise, je vis le bon matelot, les deux poings sur les hanches, et riant aux éclats du bon tour que les gamins venaient de lui jouer ; et ensuite le sieur Lafleur, monté sur un quai, et lançant des pierres à tour de bras vers la chaloupe pour remercier, sans doute, Jack de son indulgence.

Lorsque Lafleur n’était pas dans l’eau, on était certain de le voir juché, comme un petit singe, sur les plus hautes manœuvres des vaisseaux dont il connaissait toutes les parties par leur nom propre ; faisant endiabler l’équipage, sautant comme un écureuil de cordages en cordages, pour se soustraire à la poursuite des plus agiles marins, et s’en retirant presque toujours sans être trop maltraité. Aussi dois-je supposer que l’apprentissage du matelot lui fut chose facile.

La ville de Québec était débarrassée depuis huit ans du sieur Lafleur, lorsque je fis la rencontre à la basse-ville, au commencement de l’hiver, d’un jeune matelot portant l’élégant costume d’un marin endimanché. Il