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MÉMOIRES.

me voyant et me propose de l’accompagner dans une petite visite qu’il voulait rendre à un vaisseau ancré au large.

— Mais, lui dis-je, la marée baisse avec la vitesse d’un trait et il fait un vent de sud-ouest épouvantable.

— C’est là le plaisir, fit Lafleur, nous nous reposerons dans la chaloupe amarrée à l’arrière du vaisseau, et nous ferons enrager les goddam qui sont à bord du navire.

Cette dernière considération me décida, et quelques minutes après, nous approchions du navire ; mais soit que Lafleur fut meilleur nageur que moi, soit qu’il eût calculé avec plus de précision la force du courant, il s’accrocha seul à la chaloupe, tandis que le courant m’emportait avec la vitesse d’un cheval lancé à la course. Après des efforts désespérés pour regagner le lieu de refuge, je pris le parti de nager vers le rivage, ma seule chance de salut, lorsqu’un matelot, espèce d’Hercule philanthrope, voyant le danger que je courais, sauta, avec un mousse, dans le bateau où Lafleur lui faisait des mines ; et il m’eut bien vite rejoint. Jack était un homme d’action, mais de peu de paroles ; il me saisit par le chignon du cou, m’appuya le ventre sur le bord de la chaloupe, et pour ne point faire de jaloux, il m’appliqua deux claques à me briser les reins ; et ensuite, sans plus de respect pour mes os, que si j’eusse été un petit barbet auquel il aurait sauvé la vie, il me jeta dans le fond de la chaloupe où je me tapis en tremblant comme un chat qui sort de l’eau. Pendant cette scène, mon ami Lafleur, assis sur le bord de la chaloupe où il se balançait comme un vrai marin