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MÉMOIRES.

— Mange des prunes autant que tu voudras, me dit-il, et ensuite remplis-en tes poches.

Trouvant la pénitence très douce, je ne manquai pas de l’accepter ; mais j’oubliai bien vite, hélas ! la première recommandation de l’excellent récollet.

Grâce à une introduction en forme du sieur Coq Bezeau, je fis la connaissance, peu de temps après mon arrivée à Québec, de son cousin germain, Lafleur. Ce Lafleur était un petit animal amphibie de mon âge, qui passait autant de temps pendant la belle saison à se jouer dans les eaux du fleuve Saint-Laurent que chez sa mère, dont la maison était située sur un quai de la basse-ville, avoisinant le cul-de-sac. C’était bien aussi le gamin le plus redoutable de la cité, lorsqu’il sortait de son élément naturel : querelleur, batailleur, il se faisait craindre de tous les enfants de son âge et même de ceux qui étaient plus âgé que lui. Je lui dois néanmoins, un tribut de reconnaissance, dont je m’empresse de m’acquitter envers ses mânes.

Ce diablotin m’avait pris dès l’abord en singulière amitié, et malheur à celui qui osait me maltraiter en sa présence ! Grands et petits étaient alors certains de porter le cachet du sieur Lafleur d’une façon ou d’une autre. Les armes ne lui faisaient jamais défaut : pierres et cailloux, tout l’accommodait. Malgré cette amitié si tendre, il n’en a pas moins failli me faire noyer deux fois.

Je descends un matin à la basse-ville pour réclamer une jolie petite goélette, œuvre de ses mains, qu’il m’avait promise. Lafleur était à son poste ordinaire, sur le quai, et prêt à se jeter à l’eau. Il pousse un cri de joie en