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MÉMOIRES.

Lorsque la dite garde arriva, conduite par un sergent, qui secoua la tête en signe de sympathie, les matelots avaient pris la fuite après avoir défoncé deux panneaux de la porte et cassé je ne sais combien de vitres. Ce fut un spectacle bien divertissant pour moi, quand la nuit fut venue, de voir toutes les peines que se donnaient les vieilles Chôlettes pour empêcher le vent d’éteindre les chandelles ; mais elles réussirent à leur honneur en mettant leur garde-robe à contribution pour boucher les plus grands trous faits à leurs châssis. Les enfants s’amusent de tout.

Les gamins avaient l’habitude de tirer, à tour de bras, la chaîne formidable qui servait à sonner la cloche du couvent des récollets, pour faire endiabler les pauvres moines ; et ils me racontaient des histoires bien touchantes d’enfants que les moines avaient saisis pendant ces innocents passe-temps et qu’ils avaient renfermés durant des mois entiers dans leurs cachots, en les assujettissant à la pénitence la plus sévère, sans compter la discipline qu’ils leur administraient matin et soir sans y manquer. J’avais beau leur dire que je connaissais plusieurs récollets qui venaient souvent quêter chez mon père, qu’ils étaient des hommes doux et pacifiques, on n’en tenait aucun compte. C’était des hypocrites, me disait-on, qui filaient doux dans les campagnes et qui faisaient ce que fait l’âne pour avoir de l’avoine. Un d’eux affirmait même que fait prisonnier par eux, il ne s’était soustrait à leur barbarie qu’en sautant dans la rue d’une fenêtre du second étage de leur couvent : il me montrait le pavé où il s’était cassé la jambe et boitait même pour l’occasion.