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MÉMOIRES.

battu avec un matelot et l’avait laissé sans connaissance au pied de la côte à Moreau, maintenant la côte de la prison. Je ne sais pourquoi on donnait alors ce nom à cette côte : était-ce parce qu’un nommé Moreau y résidait ? ou était-ce parce que cette côte et les environs étaient infesté de ciguë, que l’on appelait alors vulgairement carotte à Moreau ? je l’ignore. Toujours est-il que la ville de Québec, et surtout ce quartier, était infesté de cette plante vénéneuse. L’odeur en était insupportable surtout quand elle séchait pendant l’automne : c’était à cette époque que les gamins coupaient les plus gros tubes pour en faire des fifres et des flûtes. Je n’ai pourtant jamais ouï parler d’accidents parmi eux. La bande de musiciens d’un régiment de petits polissons, que j’avais l’honneur de commander, n’aurait été composée que d’un seul tambour, c’est-à-dire d’une chaudière de fer blanc renversée, sans l’aide des fifres et des flûtes de carotte à Moreau : ce qui ne contribuait pas peu à donner à cet illustre corps un air très martial.

Je reprends mon récit. Aussitôt après le cri d’alarme du fils, nous vîmes accourir le beau-père poursuivi par une bande de matelots ; il se réfugia dans notre maison dont il habitait un côté de l’étage inférieur, barra la porte de la rue, enfila par une porte de derrière, escalada le mur de la cour des Jésuites, et alla demander du secours à la garde stationnée aux casernes, près du marché de la haute-ville.[1]

  1. Il n’y avait pas de police à cette époque, et l’on avait recours à la garnison pour maintenir l’ordre.