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MÉMOIRES.

— Je suis bien en peine, lui dis-je, je n’ai que trente sols, et jamais je ne demande un sol à mes parents : c’est plus fort que moi.

— Tu as tort, fit le citoyen, j’en demande souvent aux miens qui me refusent presque toujours ; mais tiens, Aubert de Gaspé, ajoute-t-il d’un air superbe, ta parole est celle d’un roi, emporte ce magnifique costume, et tu me payeras la balance à ton loisir.

Je ne fis qu’un saut du bureau dans la rue en emportant mes trésors.

Que ceux qui seront disposés à me juger par trop sot pour un enfant de neuf ans, lisent la vie de Goldsmith et l’histoire de sa dernière guinée que lui soutira un de ses vauriens d’amis, sous prétexte qu’ayant fait venir à grands frais des Indes Orientales deux souris blanches, mâle et femelle, dont il voulait faire cadeau à je ne sais plus quelle duchesse qui raffolait des souris blanches, il ne lui manquait plus que la cage coûtant une guinée, sans laquelle il lui serait impossible de présenter convenablement ces charmantes petites bêtes, et de faire ainsi sa fortune. Que ceux, dis-je qui ont lu cette anecdote me jugent avec moins de rigueur, car j’étais alors un enfant et Goldsmith était déjà un grand poète, mais confiant et crédule comme je l’étais.

À peine étais-je dans la rue, en costume d’évêque, le dimanche au matin, que sept à huit gamins, qui avaient eu vent de ma bonne fortune, m’entourent avec accompagnement de force civilités. Mais la scène change tout à coup : l’un d’eux sonde mon étole, dont les lambeaux lui restent dans les mains, un autre tire, par der-