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MÉMOIRES.

d’œuf, en déclarant que le panier était vide, chose qui n’était jamais arrivé auparavant. Et les autres de donner un signe grave de condoléance sur ce malheur : ce qui n’empêcha pas, un quart d’heure après, et à ma grande surprise, le dit bedeau d’entrer dans notre chapelle avec son panier encore à moitié plein.

Je fus introduit vers ce temps-là à Justin McCarthy, qui plus tard aurait pu devenir un de nos hommes les plus éminents, et dont la courte carrière a été si déplorable. Il était alors de mon âge, mais dix ans plus avancé que moi. Son père, arpenteur, et le premier géomètre de tout le Canada, était l’ami de ma famille, et nous fûmes bientôt intimes et compagnons inséparables. C’était l’enfant le plus retors du pays, et il s’attacha à moi comme une sangsue : il me jugea probablement à notre première rencontre. J’aurai beaucoup à dire sur son compte dans ces mémoires, car il fut ensuite constamment mon compagnons d’études. Il était naturellement mordant et caustique ; je suis le seul, je crois, auquel il ait dit quelque chose d’obligeant. « Je t’aime toi, disait-il, parce que tu as le cœur d’un Irlandais. »

Et il savait en tirer partie. Il aimait l’argent, non pas pour en faire l’usage que font les autres enfants de son âge, mais pour se livrer à un penchant qui a tué prématurément un des plus beaux talents du Canada.

Je fus sa dupe dès notre première entrevue : — Gaspé a deux chelins, dit un de mes compagnons, mais il ne veut pas nous traiter parce qu’il les doit au bonhomme Maillet le pâtissier, qu’il a promis de payer demain.