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MÉMOIRES.

— Vous souvient-il que la marée commençait à baisser et qu’une goélette secondée par le courant prenait le large à l’aide de deux immenses rames, et qu’un canot était amarré à l’arrière d’icelle ? Vous souvient-il que, malgré la distance, nous convînmes de nager jusqu’à la goëlette, certains de nous reposer dans le canot, si nous étions fatigués ; et qu’après de grands efforts nous arrivâmes en même temps au but ?

— Je ne m’en souviens pas, reprit le Docteur.

— Comment, m’écriai-je, il n’y a que soixante-et-trois ans depuis cette aventure et vous avez oublié le danger que nous courûmes tous deux ! Je vais tâcher de vous rafraîchir la mémoire.

Vous souvient-il que nous étions à peine suspendus au canot, qu’un homme brutal nous menaça d’une longue perche ? Que saisis de frayeur nous lâchâmes prise ? Que ce ne fut qu’après une lutte de vie et de mort, que nous mîmes le pied sur la grève où nous restâmes longtemps étendus sans mouvement sur le sable ?

Mon vieil ami avait tout oublié : et il avait, certainement, une mémoire plus heureuse que la mienne pendant le cours de nos études au séminaire de Québec, que nous avons commencées et terminées ensemble. Je me rappelle, moi, la couleur même de la perche que le brutal tenait en main : elle était de merisier.

Je rencontrai, un jour, près de la cour de justice de Québec, un étranger auquel je donnai quelque renseignements qu’il me demandait : après une conversation assez prolongée, il me dit que son nom était Riverin.

Avez-vous, lui dis-je, demeuré à Saint-Jean Port-Joli ?