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MÉMOIRES.

Laissons la parque, patronne de la quenouille, filer pendant près de trente ans les jours du sieur Charles Bezeau. Je suis à Québec sur le rempart, admirant les beautés de la nature, lorsqu’un gentleman très bien mis vient prendre place près de moi. C’était un compatriote, j’étais certain qu’il répondrait à mes avances ; et comme j’ai une mémoire surprenante pour démêler les traits d’une personne que j’ai déjà vue, il me sembla que j’avais jadis connu cet étranger, ce qui me fit lui demander, après un moment de conversation, s’il était citoyen de la ville de Québec.

— J’y suis né, me dit-il, mais je l’ai laissée vers l’âge de onze ans, et je ne l’ai visitée ensuite que de temps à autre, mais rarement.

— J’étais certain, lui dis-je, de ne pas me tromper : vous êtes né et vous avez été élevé dans la côte à Moreau[1] ; et votre nom est Charles Bezeau.

Nous renouvelâmes connaissance avec un plaisir mutuel : il me fit l’histoire de sa vie, qu’il termina par ces paroles remarquables :

Ma mère a souhaité bien des fois de me baiser mort pendant mon enfance : c’eut été un grand malheur pour elle, pour mon beau-père et pour mes sœurs, qui coulent maintenant des jours heureux sous mon toit, et que j’ai soustraits à la misère.

Monsieur Charles Bezeau avait fait non-seulement une jolie fortune, mais était aimé et respecté dans la paroisse de Lotbinière (je crois), dont il était un magistrat.

  1. On appelait, pendant mon enfance, la côte à Moreau, ce qui est aujourdd’hui la côte de la prison.