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MÉMOIRES.

d’un adversaire qu’il méprisait. C’était, suivant l’expression du Sam Waller de Dickens, ajouter l’insulte au mauvais traitement. Je lui répliquai de ne pas craindre, mais que lui de son côté ne me frapperait pas sur les yeux.

— Bien entendu ; fit-il en ricanant.

Le combat commence : un premier coup de poing me bouche un œil, et me voilà borgne.

— Mais tu m’avais promis ! lui criai-je en frottant la partie affligée, de ne point frapper au visage !

Pour toute réponse : pan ! un coup de poing me bouche l’autre œil ; et me voilà aveugle.

Après que Coq Bezeau m’eût, suivant l’expression en vogue, pommadé les deux yeux, le combat devint très inégal. Le grand art de la boxe est de donner et de ne pas recevoir ; et comme je recevais dix coups contre un que je portais en frappant au hasard, je m’avouai vaincu.

Un enfant qui a été bien rossé éprouve pendant longtemps une crainte assez naturelle de son adversaire : j’avais pourtant sur le cœur la raclée que j’avais reçue, non pas tant à cause de la raclée elle-même, qu’à cause des sarcasmes des autres gamins, et du sieur Coq Bezeau en particulier, et de leur éternel, « Gaspé, quand tu te battras, prends bien garde de frapper dans les yeux ! »

Voyant que le cœur me manquaient chaque fois que j’étais tenté de demander ma revanche, je pris un parti désespéré qui ne me laissât aucune porte pour éviter le combat. Mon ennemi était assis un soir sur le bas de la porte, j’étais au second étage de la maison regardant