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MÉMOIRES.

À la vue de l’animal, le schlinderlitche s’écria avec rage et mépris : « Der esel ! un jack ass ! un âne ! » et lâcha un donner wetter qui devait être un juron épouvantable, car la colline au pied de laquelle l’Allemand fut s’asseoir pour se reposer à l’ombre, en fut ébranlée jusque dans ses fondements.

Quant à moi, je liai bien vite connaissance avec mon nouvel ami, qui reçut mes caresses de la manière la plus aimable : c’était le premier âne à quatre pattes que je voyais, et j’en fus émerveillé. Si j’eusse eu un macaron, je l’en aurais régalé de meilleur grâce que cet égoïste de Sterne qui présenta semblable biscuit à un pauvre baudet pour étudier en naturaliste comment un âne savourerait un macaron, après avoir rejeté une racine amère d’artichaut pourri qu’il n’avait pas eu le courage d’avaler. À défaut de macaron, je lui donnai un reste de pain d’épice que j’avais grignoté, et qu’il mangea d’un air de satisfaction qui me réjouit le cœur. Je lui demandai ensuite comment il trouvait le Canada. À cette question il baissa une oreille et éleva l’autre. Je compris ce langage muet que je rendis par ces mots : Le Canada est un beau pays, mais je vais me trouver bien isolé, faute d’animaux de mon espèce. Je lui dis alors pour le consoler en lui frappant sur la croupe : Vivez dans l’espérance, mon cher ami. Le Canada se peuple rapidement, et dans cinquante ans, à la fleur de votre âge, vous aurez de nombreux amis de votre espèce. Ceci parut le consoler ; je lui fis de tendres adieux, et je repris le chemin de Québec. L’Allemand chanta pouilles à son cher cousin pendant toute la route, et rentra à quatre