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MÉMOIRES.

reçu aucune marque d’affection de sa famille, s’était attaché naturellement à l’enfant espiègle qui s’occupait sans cesse de lui, même pour le tourmenter. J’eus un jour une preuve de son affection, que je n’ai jamais oubliée. Je jouais, le soir, dans la rue, lorsqu’une balle que je lançai, atteignit un nommé Poussart, qui se mit aussitôt à courir après moi pour me châtier : ce Poussart, d’une force prodigieuse, était redouté de tous les fiers-à-bras de Québec. Ives Chôlette, d’ordinaire si lourd, ne fit qu’un saut de la porte où il était, et se jeta au-devant de mon ennemi.

— Arrête, Poussart ! lui dit-il ; tu ne toucheras pas à cet enfant, car, vois-tu, je l’aime plus que moi-même.

— Et qui m’en empêchera ? dit l’autre, d’un air menaçant.

— Moi, Poussart : je sais que je ne suis pas de force à lutter contre toi ; mais, ajouta-t-il, en lui saisissant le bras, je me collerai amont toi et je te mangerai à belles dents.

Je compris, ce jour, l’affection qu’Ives avait pour moi : j’aurais dû m’en douter auparavant, car il ne souffrait rien, ni de ses sœurs, ni des autres pensionnaires. Pauvre Chôlette ! Quelques années après, j’étais en profession, et quand il me rencontrait dans les rues son visage s’épanouissait aussitôt.

Chôlette me dit un dimanche au matin :

N’en parle pas aux deux autres pensionnaires, et je te mènerai voir, après-midi, une bête curieuse, arrivée avant-hier dans un vaisseau d’Angleterre.