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MÉMOIRES.

scène qui eût probablement lieu vers cette époque. C’est le capitaine Gouin, ancien et respectable cultivateur de Sainte-Anne de La Parade qui parle :

— Je conduisais Lord Dorchester, dans ma carriole par un froid du mois de janvier à faire éclater une église, lorsque je m’aperçus qu’il avait le nez aussi blanc que de la belle crème. C’était un maître nez que celui du gouverneur ! Je puis l’affirmer sans manquer à sa mémoire, car c’était un brave homme, aussi poli avec un habitant que s’il eût été un gros bonnet. C’était un plaisir de jaser avec lui : il parlait français comme un Canadien ; et une question n’attendait pas l’autre.

— Excellence, que je lui dis, sauf le respect que je vous dois, vous avez le nez gelé comme un greton.[1]

— Que faut-il faire alors ? me dit le général, en portant la main à la partie endommagée, qu’il ne sentait pas plus entre ses doigts que si elle eût appartenu à son voisin ?

— Ah ! Dam ! voyez-vous, mon général je n’ai encore manié que des nez canadiens : les nez anglais c’est peut-être une autre paire de manches.

— Que fait-on dans ce cas, me dit le Gouverneur, à un nez canadien ?

— Un nez canadien, Excellence, c’est accoutumé à la misère, et on les traite assez brutalement en conséquence.

— Supposez, dit le général, que le mien, au lieu d’être anglais, soit un nez canadien ?

  1. C’est une partie de graisse de porc dont les canadiens sont très friands surtout quand elle est en gelée.