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MÉMOIRES.

ment : celui de son Altesse Royale, le Duc de Kent, père de notre gracieuse souveraine la reine Victoria. On me montra, sans doute, le Prince ; mais comme je jugeais alors les hommes, comme le font beaucoup d’autres aujourd’hui, sur le plus ou moins de bruit qu’ils font, le gros tambour et surtout le grand nègre, qui agitait deux plats d’acier au-dessus de sa tête en les frappant l’un contre l’autre en cadence, furent les deux seuls acteurs de ce spectacle si nouveau pour moi qui attirèrent toute mon attention et dont je me rappelle aujourd’hui.

Au dire de mes parents, j’étais, comme de droit, un prodige de mémoire, pendant mon enfance. Quant à l’esprit, j’en fais grâce au lecteur. Dès l’âge de six ans, je savais par cœur toutes les fables du bon Lafontaine, je connaissais toutes les villes du monde, la Chine, je crois même, y comprise, et je savais assez de traits d’histoire pour désespérer les pédants les plus ferrés. Lady Simcoe, qui passait pour un bas-bleu,[1] dit un jour à ma mère : De grâce, amenez-moi votre fils, quand vous viendrez prendre le thé ce soir : on me dit que c’est un savant.

On me promenait dans les salons de Québec, comme un petit animal rare. Quel dommage que Barnum ne fût pas alors au monde, il aurait acheté la petite bête

  1. Ce n’est pas rendre justice à Lady Simcoe, femme du général qui fut gouverneur du Haut-Canada, que de la classer parmi les bas-bleus ; elle avait au contraire des goûts littéraires distingués. Ma tante Baby n’ayant un soir d’autres livres à lui prêter que le petit carême de Massillon, Lady Simcoe, quoique protestante, fut si enchantée de ce chef-d’œuvre qu’elle déclara vouloir lire tous les sermons de nos grands prédicateurs : et les Bossuet, Bourdaloue etc., firent ensuite ses délices.