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MÉMOIRES.

Je me promenais un jour, avec ma tante Bailly de Messein, sur les grèves de la rivière Saint-Charles, vis-à-vis les ruines du palais de l’Intendance :

— Arrêtons-nous ici, dit-elle, afin de voir si je reconnaîtrai les lieux que j’ai souvent visités pendant mon enfance. Après avoir promené ses regards sur les ruines, elle ajouta :

— C’est là qu’était le salon dans lequel dansaient ceux qui avaient leurs entrées au palais de l’Intendant : il régnait à l’entour de cette chambre une galerie à laquelle le peuple avait accès en montant de sa salle de danse à celle-ci ; car le peuple, grâce à la munificence de Bigot, était aussi fêté par cet intendant qu’il aimait beaucoup. Nos mères nous envoyaient, sous la conduite de nos bonnes, jouir de ce spectacle, dont celles-ci profitaient en se relayant, dans cette galerie, tandis que les autres dansaient. Quoique je ne fusse âgée que de douze ans, lors de l’invasion de cette colonie par les Anglais, je n’en ai pas moins assisté, comme spectatrice, deux ans auparavant, sous la protection de ma bonne, à un bal dans ce palais.

J’ai connu, en outre, un grand nombre de personnes contemporaines de Bigot, et pas une seule ne m’a parlé de la tragédie de l’Hermitage, qu’elles devaient connaître et qu’elles n’avaient aucun intérêt à cacher. Elles n’épargnaient guère, d’ailleurs, la réputation du dernier possesseur de ce château. Cet assassinat aurait été trop récent pour être oublié ; et celui même de la version anglaise, dont j’ai parlé, ne se serait jamais effacé de la mémoire des anciens colons. L’invention