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MÉMOIRES.

Raillerie à part, si un assassinat avait eu lieu sous de semblables circonstances, je devrais en être instruit, car j’ai connu plusieurs contemporains de l’intendant Bigot.

Voici, à ce propos, quelques incidents dont j’ai souvenance.

Une vieille dame, ayant nom Descarrières, était un répertoire vivant d’anecdotes des temps anciens. Toute octogénaire qu’elle était, elle aimait, avec cette vanité qui n’abandonne jamais même les vieilles femmes, à en raconter une qui prouvait qu’elle avait été jolie pendant sa jeunesse : on ne s’en serait jamais douté à l’âge que je l’ai connue. Toute sa société, connaissant son faible, ne manquait pas de lui dire souvent : « Vous devez, madame Descarrières, avoir connu l’intendant Bigot ? » La vieille douairière se rengorgeait et faisait toujours son récit dans les mêmes termes.

— C’était un bien galant homme que M. l’intendant Bigot. Lorsque je lui fus présentée, à l’âge de dix-huit ans, il m’embrassa, suivant l’usage à une première présentation, tant à l’Intendance qu’au château Saint-Louis ; il me prit ensuite la taille entre ses quatre doigts (j’étais si menue alors que les doigts se rejoignirent), et il s’écria : « Quelle belle poignée de brune ! » J’étais, voyez-vous, une brune claire.

Elle racontait que le même intendant, pendant le siège de Québec, faisait servir un plat de cheval rôti sur sa table, toujours somptueuse, malgré la disette de vivres ; mais tout le monde s’accordait à dire que c’était pour donner le bon exemple aux autres, et pour les encourager, mais qu’il n’en mangeait jamais lui-même.