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MÉMOIRES.

vert d’un drap blanc, était celui de mon aïeule paternelle, et que je ne la reverrais plus.

Je trouvais la vie pleine de charme pendant mon enfance, ne m’occupant ni du passé ni encore moins de l’avenir. J’étais heureux ! Que me fallait-il de plus ! Je laissais bien, le soir, avec regret tous les objets qui m’avaient amusé, mais la certitude de les revoir le lendemain me consolait ; aussi étais-je levé dès l’aurore pour reprendre les jouissances de la veille.

Je me promenais seul, sur la brune, de long en large dans la cour du manoir, et je trouvais une jouissance infinie à bâtir de petits châteaux en Espagne. Je donnais des noms fantastiques aux arbres qui couronnent le beau promontoire qui s’élève au sud du domaine seigneurial. Il suffisait que leur forme m’offrit quelque ressemblance avec des êtres vivants pour me les faire classer dans mon imagination. C’était une galerie complète composée d’hommes, de femmes, d’enfants, d’animaux domestiques, de bêtes féroces et d’oiseaux. Si la nuit était calme et belle, je n’éprouvais aucune inquiétude sur le sort de ceux que j’aimais, mais au contraire si le vent mugissait, si la pluie tombait à torrent, si le tonnerre ébranlait le cap sur ses bases, je me prenais alors d’inquiétude pour mes amis ; il me semblait qu’ils se livraient entre eux un grand combat et que les plus forts dévoraient les plus faibles ; j’étais heureux le lendemain de les trouver sains et saufs.

Un beau jour, je me trouvai transporté comme par enchantement dans la cité de Québec. Je devais être bien jeune, car je ne sais comment je fis le voyage. Je suis sur la place d’armes et je vois manœuvrer un régi-