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MÉMOIRES.

vrage, un coin, à sa façon, pour y déposer tout ce qui me passera par la tête tant des anciens que des nouveaux Canadiens : il n’en coûte après tout que la facture ; et le pis qui pourrait m’arriver serait de me casser le cou comme madame Fanchette. D’ailleurs je n’y mettrai pas plus d’ordre qu’elle ; j’entasserai les anecdotes à mesure qu’elles me viendront sans autre plan arrêté qu’un certain ordre chronologique, que je ne promets pas de toujours observer.

Le lecteur me pardonnera donc de me présenter à lui le jour même de ma naissance. Le 30 octobre de l’année 1786, dans une maison de la cité de Québec, remplacée maintenant par le palais archiépiscopal, un petit être bien chétif, mais très vivace, puisqu’il tient aujourd’hui la plume à l’âge de soixante-et-dix-neuf ans, ouvrait les yeux à la lumière. Après avoir crié jour et nuit pendant trois mois, sans interruption, sous le toit de sa grand-mère maternelle, veuve du chevalier Charles Tarieu de Lanaudière, le petit Philippe Aubert de Gaspé fut transporté à Saint-Jean Port-Joli, dans une maison d’assez modeste apparence, ayant néanmoins la prétention de remplacer l’ancien et opulent manoir que messieurs les Anglais avaient brûlé en 1759.

Je ne puis expliquer pourquoi j’ai souvenance de ma grand-mère paternelle avant celle de mon père et de ma mère : serait-ce parce que la vieille dame, ayant disparu tout à coup laissa un vide dans mon existence ? Je ne me rappelle en effet mon père et ma mère que le jour que je les vis agenouillés près du corps de ma grand-mère. Je devais ignorer la mort, et j’ai cependant conservé l’impression que ce corps inanimé, recou-