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LA DÉBACLE.

C’était la réaction qu’attendait le vieux pasteur.

— Ma chère fille, reprit-il, vous demandiez comme faveur unique, il n’y a qu’un instant, d’embrasser le corps inanimé de votre mari, et Dieu vous a exaucée. Ayez confiance en lui, car la main puissante, qui l’a retiré de l’abîme, peut aussi lui rendre la vie.

La jeune femme ne répondit que par de nouveaux sanglots.

— C’est le même Dieu d’ineffable bonté, continua le vieux pasteur, qui dit à Lazare dans la tombe : « Levez-vous, mon ami, je vous l’ordonne ». Tout espoir n’est pas perdu, car votre mari dans son état d’horribles souffrances…

La pauvre femme, qui avait écouté jusque-là son vieil ami sans trop le comprendre, sembla s’éveiller d’un affreux cauchemar, et pressant dans ses bras ses deux enfants endormis, elle s’élança vers la porte.

Peindre l’entrevue de Dumais, avec sa famille, serait au-dessus de toute description. L’imagination seule des âmes sensibles peut y suppléer. Il est souvent facile d’émouvoir en offrant un tableau de malheur, de souffrances atroces, de grandes infortunes, mais s’agit-il de peindre le bonheur, le pinceau de l’artiste s’y refuse et ne trace que de pâles couleurs sur le canevas.

— Allons souper maintenant, dit M. de Beaumont, à son ancien et vénérable ami ; nous en avons tous grand besoin ; surtout ce noble et courageux jeune homme, ajouta-t-il en montrant de Locheill.

— Doucement, doucement, mon cher seigneur, dit le vieux curé. Il nous reste un devoir plus pressant à remplir : c’est de remercier Dieu dont la protection s’est manifestée d’une manière si éclatante !