Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
LES ANCIENS CANADIENS.

baissé les yeux vers la terre et il ne les en avait plus détachés. Cet homme suspendu par un fil sur ce gouffre béant, ce vieux et vénérable prêtre administrant à haute voix, sous la voûte des cieux, le sacrement de pénitence, ces prières des agonisants adressées à Dieu pour un homme dans toute la force de la virilité, cette sublime évocation qui ordonne à l’âme, au nom de toutes les puissances célestes, de se détacher d’un corps où coule avec abondance la sève vigoureuse de la vie, tout lui semblait l’illusion d’un rêve affreux.

Jules d’Haberville, entièrement absorbé par ces émotions navrantes, n’avait donc eu aucune connaissance des efforts qu’avait faits son ami pour sauver Dumais. Il avait seulement entendu, après la tentative infructueuse de Locheill, les cris lugubres de la foule qu’il avait attribués à une nouvelle péripétie de cette scène de désolation, dont il détournait ses regards.

Ce n’était pas un lien ordinaire entre amis qui l’attachait à son frère par adoption ; c’était cet amour de David et de Jonathas plus aimable, suivant l’expression emphatique de l’Écriture, que l’amour d’aucune femme. Jules n’épargnait pas ses railleries à Arché, qui ne faisait qu’en rire, mais c’était bien à lui, auquel il ne permettait à personne de toucher. Malheur à celui qui eût offensé de Locheill devant l’impétueux jeune homme !

D’où venait cette grande passion ? il n’y avait pourtant, en apparence, aucun rapport dans leur caractère. Arché était plutôt froid qu’expansif, tandis qu’une exubérance de sentiments exaltés débordait dans l’âme de Jules. Il y avait néanmoins une similitude bien précieuse : un cœur noble et généreux battait sous la poitrine des deux jeunes gens !