Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
LES ANCIENS CANADIENS.

soulevant sur une jambe, seul point d’appui qui lui restait, il s’y cramponna avec la ténacité d’un mourant, tandis que la glace sur laquelle reposait son pied unique, soulevée par l’eau qui augmentait à chaque instant de volume et qui attirée par deux courants contraires, oscillait de droite et de gauche, et menaçait à chaque instant de lui retirer ce faible appui.

Il ne manquait rien à cette scène d’horreur si grandiose ! Les flambeaux agités sur les deux plages reflétaient une lueur sinistre sur les traits cadavéreux, sur les yeux glauques et à moitié sortis de leur orbite de cette victime suspendue sur les dernières limite de la mort ! Certes, Dumais était un homme courageux ! il avait déjà, à diverses époques, fait preuve d’une bravoure héroïque, mais, dans cette position exceptionnelle et inouïe, il lui était bien permis d’être complètement démoralisé.

Cependant, Marcheterre et ses amis conservaient encore quelque espoir de salut.

Avisant sur la plage près du moulin à scie deux grandes pièces de bois carré, ils se hâtèrent de les transporter sur un rocher qui avançait dans la rivière à environ deux cents pieds au-dessus de la chute. En liant chacune de ces pièces avec un câble et les lançant successivement, ils espéraient que le courant les porterait sur l’îlot. Vain espoir ! efforts inutiles ! l’impulsion n’était pas assez forte ; et les pièces, empêchées d’ailleurs par la pesanteur des câbles, dérivaient toujours entre la plage et l’îlot.

Il semblerait impossible d’ajouter une nuance à ce tableau unique dans son atroce sublimité, d’augmenter l’émotion douloureuse des spectateurs pétrifiés à la